Handle with care ! Oxfam Belgique veut un devoir de diligence pour les entreprises

Prendre soin des autres et de notre planète est crucial. Nous voulons une vraie mobilisation pour un avenir plus durable, y compris dans l'industrie et les entreprises. Malheureusement, nous constatons que les droits humains, les droits du travail et les normes environnementales ne semblent pas toujours une priorité. Pour y remédier, nous avons besoin d’une politique active et volontaire... et d’une législation avec des répercussions. Avantage pour les consommateurs : plus besoin de choisir entre des produits en se demandant s'ils sont néfastes ou non plus les droits humains ou l’environnement. Bref, nous avons besoin d’une loi sur le devoir de diligence.

Les exemples des incidences néfastes des activités des entreprises à l’échelle humaine et environnementale sont hélas nombreux. La crise du COVID-19 et le conflit en Ukraine exposent on ne peut plus clairement les failles du système : le manque de règles au sein des chaînes de valeur mondiales freine la prévention et la résolution des crises.

Qu’est-ce que le devoir de diligence ?

Le concept de ‘devoir de diligence’ n'est pas nouveau. Dans le jargon, vous le connaissez peut-être sous l’acronyme HREDD ou ‘Human Rights and Environmental Due Diligence’. Dès 2011, tous les États membres ont adopté à l'unanimité les Directives des Nations Unies relatives aux entreprises et aux droits humains, qui prescrivent, entre autres, la devoir de diligence et des mesures correctives. Mais jusqu’à présent, ces prescriptions n’ont donné lieu qu’à très peu de réglementations contraignantes. Au lieu de ça, les décideurs politiques s’en remettent depuis 10 ans à l’autorégulation et aux initiatives volontaires des entreprises. La conclusion qu'on peut globalement en tirer aujourd'hui ? Les initiatives volontaires ne suffisent pas. Elles doivent être soutenues par des mesures contraignantes.

Une loi qui oblige les entreprises à respecter les droits humains, les droits du travail et les normes environnementales internationales tout au long de leurs chaînes de valeur. En d'autres termes, une loi sur le devoir de diligence clarifie les responsabilités des entreprises, et quels efforts on attend d’elles pour rectifier leur implication dans les atteintes portées aux droits humains et à l’environnement. Un devoir de diligence repose sur deux piliers.

  1. Devoir de vigilance : les entreprises doivent reconnaître et remédier aux risques de violations des droits humains ou environnementaux.
  2. Obligation de réparation : les entreprises doivent assumer leurs responsabilités lorsque leurs précautions se sont révélées insuffisantes et que des infractions ou des dommages ont été commis. Un devoir de diligence engage la responsabilité des entreprises. Les victimes d’abus de la part des entreprises ont ainsi accès à la justice et peuvent demander réparation.

 

Comment les entreprises mettent en pratique le devoir de diligence

La recette exacte varie d'une entreprise à l'autre, en fonction de sa taille, de ses ressources et de son influence. Mais les ingrédients de base sont les mêmes partout.

  1. Agir avec diligence signifie qu'une entreprise doit avoir un système permanent pour détecter, prévenir et remédier aux violations des droits humains et environnementaux, tout au long de sa chaîne de valeur. L’efficacité des mesures prises doit faire l’objet d’un suivi attentif, et les conclusions doivent être accessibles au public.
  2. Et si on constate des violations des droits humains et environnementaux ? Il faut disposer de mesures correctives. S'il s'avère que l’impact négatif des activités de l’entreprise ne peut être évité, ces activités doivent cesser.
  3. Essentiel : une analyse de genre et une consultation pertinente des parties prenantes. C’est-à-dire concrètement les salariés, les producteurs agricoles, les communautés environnantes et les organisations qui les représentent. Seule la concertation avec ces personnes peut permettre à l’entreprise de se faire une idée réelle de l’impact négatif de ses activités et de la meilleure façon de les éviter. Les groupes présentant un risque accru de marginalisation et de vulnérabilité lié à des facteurs comme le genre, l’âge, la classe sociale, la religion, l'orientation sexuelle...  doivent faire l’objet d’une attention particulière. Ce n’est qu’en tenant explicitement compte de ces éléments qu'on peut lutter de manière structurelle contre la discrimination et l’inégalité.
  4. Le devoir de vigilance doit être un exercice récurrent au sein de l'entreprise. Les entreprises doivent rendre compte en toute transparence de l’ensemble de la procédure, et les rapports doivent être accessibles.

Un levier vers plus de durabilité

La crise du coronavirus a mis impitoyablement en exergue à quel point une mondialisation sans régulation peut nous fragiliser. Et même plus : les pratiques commerciales non durables contribuent à l'émergence des pandémies. Vu la complexité de nos chaînes de valeur mondiales, le moindre accroc peut avoir des conséquences considérables pour les économies du monde entier. Et qui en pâtit généralement ? Les travailleurs et les producteurs les plus vulnérables. On peut et on doit changer les choses. Dans le sillage de la pandémie se dessine une flambée sans précédent des inégalités, partout dans le monde. Les 10 hommes les plus riches au monde ont doublé leur fortune depuis le début de la pandémie, tandis qu’à l’autre bout de la lorgnette 160 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté.

Pour prévenir ou mieux faire face aux crises futures, les droits de humains et les normes environnementales doivent primer sur les intérêts économiques et les droits des investisseurs et des entreprises. Cela nécessite des règles et des normes internationales et nationales claires et contraignantes. C’est aussi la seule façon d’initier une reprise économique solide et durable.

Le devoir de diligence peut y participer. Il dresse un portrait clair des responsabilités des entreprises, quelles formes elles doivent prendre et quelles sont les conséquences si elles ne les prennent pas (correctement). Ce cadre clair a également son importance pour convaincre les actionnaires et les investisseurs de la nécessité d’agir.

Pour les entreprises déjà engagées sur la voie de l’équité et de la durabilité, ce sera aussi un soulagement bienvenu ! Tout le monde jouera à armes plus égales. Fair play pour tout le monde.

Autrement dit, le devoir de diligence est un incitant supplémentaire à plusieurs niveaux. C’est un levier pour repenser en profondeur le commerce actuel. Tel est l’enjeu du devoir de diligence.

Ce que vous ne voyez pas en tant que consommateur…

Notre campagne ‘Derrière le code-barres’ livre un témoignage fort sur les atteintes graves portées aux droits de l’Homme et de la Femme et aux droits des travailleurs au sein de nos chaînes alimentaires. Aujourd’hui encore, elles restent monnaie courante. Les femmes et les hommes qui produisent nos aliments ne gagnent pas correctement leur vie, travaillent dans des conditions inacceptables, craignent d'être licenciés pendant leur grossesse, ne sont pas protégés ou indemnisés en cas d'accident du travail.

La filière du cacao, qu’Oxfam Belgique connaît très bien, souffre de problèmes chroniques, comme le travail des enfants, l’absence de revenu viable pour les cultivateurs.trices et la déforestation à grande échelle. Ces violations flagrantes sont également largement documentées dans le secteur du textile et de l'électronique. Nous nous rappelons tous la catastrophe de l’usine textile de Rana Plaza en 2013. En 2020, un autre drame s’est joué, bien qu’au ralenti : pour limiter leurs pertes pendant la pandémie, plusieurs marques européennes de vêtements ont annulé à la dernière minute les commandes (souvent déjà produites), sans les payer. Des millions d’ouvriers textiles ont été licenciés sans les arriérés de salaire et les indemnités qui leur revenaient de droit. En 2022, plus d’un quart de milliard de personnes risque de basculer dans l’extrême pauvreté. Une conséquence de la pandémie et de la hausse des prix des produits alimentaires résultant de la crise en Ukraine et de la spéculation alimentaire. En parallèle, la richesse des milliardaires du monde entier et les bénéfices des entreprises, surtout dans l’industrie alimentaire, ne cessent d’augmenter et les prix de l’énergie atteignent des niveaux records.

Le profit au détriment des populations et de l’environnement

Les entreprises n’agissent pas suffisamment pour évaluer, faire face à et prévenir leur impact négatif sur les droits humains et l’environnement. Pire encore, de nombreuses entreprises font des bénéfices supplémentaires en transférant les risques à d’autres acteurs de leur chaîne. Les entreprises plus responsables, qui osent élever la barre, sont lourdement concurrencées.

Oxfam plaide pour une loi sur le devoir de diligence en Belgique

Oxfam, soutenu par une large coalition d'organisations de la société civile belge, se bat pour la mise en place d’une loi sur le devoir de diligence à l’échelle belge. Grâce à une telle loi, il deviendrait possible de contraindre toutes les entreprises établies ou actives en Belgique à appliquer le devoir diligence. C’est une opportunité pour nos entreprises de faire partie des pionniers au sein de l’UE.  Dans plusieurs de nos pays voisins, des réglementations encourageantes sont déjà en place ou en préparation. La France a introduit ‘un devoir de vigilance’ en 2017. En 2019, les Pays-Bas ont créé la loi ‘Child Labour Due Diligence’. En 2021, l’Allemagne a adopté un projet de loi en ce sens.

Qu’attend la Belgique ? En février 2022, la Commission européenne a présenté une proposition pour une directive européenne. L’agenda européen prévoit de l’élaborer de manière plus approfondie et de la transposer dans les prochaines années. Mais, comme l’a souligné avec à-propos le commissaire européen de la Justice Didier Reynders lors d’une visite au parlement belge : rien n’empêche la Belgique d’agir déjà au niveau national.

Dans un mémorandum conjoint, la coalition belge a montré qu’une très large majorité de la société civile belge s’accorde sur la nécessité d’une loi sur le devoir de diligence à l’échelle de la Belgique, et d’une mise en œuvre concrète de cette loi. Nous continuons à œuvrer collectivement à travers des actions de lobbying et des campagnes publiques afin d'ouvrir la voie à un devoir de diligence strict au niveau belge et européen. Bien qu’il ne faille pas confondre hâte et précipitation, l’urgence nous semble bel et bien de mise dans la lutte pour les droits humains et l’environnement. 

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