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Devoir de vigilance pour les entreprises : une économie qui respecte les personnes et la planète

Prendre soin des autres et de notre planète est crucial. Pour les entreprises et dans l’industrie, cette expression reste pourtant une formulation vague, sans véritables engagements. L’une des principales conclusions du rapport publié par Oxfam en janvier, intitulé « Multinationales et inégalités multiples », est sans équivoque : la préservation de la nature et la garantie d’un salaire vital aux travailleurs et travailleuses sont loin de figurer au sommet des préoccupations des multinationales. Pourtant, sans une économie capable de répondre aux besoins humains de base tout en préservant l’environnement, on fonce droit dans le mur.

 Les entreprises ont un rôle de premier plan à jouer dans la transition vers une économie juste. La directive européenne sur le devoir de vigilance peut contraindre les entreprises à placer les droits humains, les normes fondamentales du travail et l’environnement en tête des priorités des grandes entreprises

Qu’est-ce que le devoir de VIGILANCE ?

Le devoir de vigilance est une loi qui exige des grandes entreprises de mettre en œuvre des mesures pour identifier, prévenir et atténuer les risques liés à la violation des droits humains, à l’environnement, à la santé et à la sécurité tout au long de leurs chaînes de valeur. 


Prenons un exemple concret dont vous avez peut-être entendu parler : le Rana Plaza. L'effondrement, le 24 avril 2013, du Rana Plaza, un bâtiment de huit étages abritant des ateliers de confection textile au Bangladesh, a tué 1 134 ouvrières et ouvriers du textile, majoritairement des femmes et des enfants. Des milliers d'autres personnes ont été grièvement blessées. Beaucoup d'entre elles attendent toujours d’être indemnisées. Cet évènement se classe parmi les catastrophes les plus meurtrières de l'histoire du travail.

Un système fondamentalement défectueux

 Cette tragédie est une triste métaphore : elle a non seulement révélé la vétusté du bâtiment mais aussi les fondations illégales et chancelantes du commerce international : des chaînes d’approvisionnement (sous-traitants, fournisseurs, distributeurs) complexes qui permettent aux grandes marques d'échapper à leurs responsabilités en matière de sécurité, de protection du personnel et de lutte contre la violence – notamment de genre- sur le lieu de travail où sont fabriqués les biens qu’elles commercialisent. 

La situation a-t-elle changé depuis le Rana Plaza ? A peine. Les travailleur.euse.s qui fabriquent des vêtements pour des marques telles que Zara, Benetton, H&M... sont toujours exposé.e.s à des risques à chaque heure de la journée et sont largement sous-payés et  ne sont pas assuré.es de gagner des revenus vitaux pour vivre. Certes, il y a eu des initiatives citoyennes, mais ce ne sont que des pansements sur une plaie béante. Une charte a été signée, de nouveaux labels crées et des collections comme « Conscious line » ont fleuris. Mais fondamentalement ? Rien.

Le problème du Rana Plaza ne se limite pas à l'industrie textile. Dans tous les secteurs et dans toutes les chaînes de valeur :

  • Les entreprises externalisent leurs activités dans des pays où les coûts de productions sont faibles et les règlementations moins strictes.
  • Les gouvernements des pays producteurs tentent d’attirer les investisseurs via des règlementations peu contraignantes.

Le devoir de vigilance vise à briser ce cercle vicieux.

Une bonne législation sur le devoir de vigilance selon Oxfam

La recette exacte varie d'une entreprise à l'autre, en fonction de sa taille, de ses ressources et de son influence. Mais les ingrédients de base sont les mêmes partout. Selon Oxfam, une bonne loi sur le devoir de vigilance est une loi qui…

  • Oblige les entreprises à identifier, prévenir, atténuer et remédier aux impacts négatifs potentiels sur les droits des personnes et l'environnement tout au long de leur chaîne de valeur, y compris dans les filiales et chez leurs fournisseurs. Elles doivent également assurer un suivi et faire rapport à ce sujet de manière régulière et cohérente.
  • Garantit une consultation significative de toutes les parties prenantes par les entreprises, en particulier les personnes dont les droits et le cadre de vie sont en jeu. Ces personnes disposent d'informations précieuses et cruciales sur la gravité des risques et sur la meilleure façon de les traiter.
  • Veille à ce que les entreprises agissent en prenant systématiquement en compte la dimension de genre, étant donné que l'impact des activités commerciales est différent pour les femmes et les hommes
  • Veille à ce que les personnes victimes d'une mauvaise conduite de la part d'une entreprise puissent demander des comptes à celle-ci devant les tribunaux et leur offre un véritable accès à la justice.
  • S'applique à toutes les entreprises, avec des obligations proportionnelles à leur taille, à leur influence et aux risques qu'elles encourent
  • S'applique à tous les secteurs, y compris le secteur financier. Les banques qui investissent dans les énergies fossiles ou dans des projets d'investissement qui violent les droits humains et détruisent la planète doivent être tenues responsables de leurs actes.

En résumé : rendre toutes les entreprises responsables de leur impact sur les droits de humains et la planète et mettre fin à leur impunité.

Devoir de vigilance & Oxfam : une longue histoire

Pour Oxfam, le devoir de vigilance n'est pas une nouveauté. Au fil des ans, nous l'avons déjà abordé de différentes manières et à différents moments, comme en 2018 avec notre campagne"Behind the Stripes Code". Avec cette campagne, nous avons fourni des preuves irréfutables des graves violations des droits humains, des droits des femmes et des droits du travail tout au long des chaînes alimentaires.


Dans la chaîne du cacao, qu'Oxfam Belgique connaît particulièrement bien, le travail des enfants, les revenus extrêmement bas pour les cultivateurs et cultivatrices et la déforestation à grande échelle constituent des problèmes chroniques. Le grand coupable ? La non-garantie d’un revenu vital. En effet, grâce à leur puissante position de monopole, les multinationales, telles que les géants du chocolat Mars et Mondeléz engrangent des millions et se vantent d’œuvrer pour le développement durable. Or, en réalité, celles-ci exploitent les producteurs et productrices en leur versant des revenus extrêmement bas, ce qui a pour conséquence de pousser au travail des enfants ou encore à l’adoption de pratiques agricoles intensives qui nuisent au climat.


Une nouvelle étude d'Oxfam montre comment, dans les communautés locales du Brésil et du Pérou, la production d'agrocarburants- un ingrédient répandu dans tous les carburants de transport en Belgique – cause non seulement de l’accaparement des terres, un accès réduit à l'eau, de la pollution de l'air, des violations des droits du travail ainsi qu’une augmentation de la violence sexuelle et sexiste et de problèmes de santé.

 l’élaboration d’une loi historique

Le concept de « devoir de vigilance » n’est pas nouveau. En 2011, tous les États membres ont approuvé à l'unanimité les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains, qui prescrivent la manière dont les entreprises doivent garantir le respect des droits humains tout au long de leur chaîne de valeur. Pendant plus de dix ans, les décideur.euse.s politiques ont compté sur l'autorégulation et les initiatives volontaires des entreprises pour mettre ces principes directeurs en pratique. Or, il est évident que les initiatives volontaires sont largement insuffisantes. Elles doivent être soutenues par des règles contraignantes.


En outre, nous voulons un système durable. En effet, pour prévenir ou mieux affronter les crises à venir, il est fondamental que les droits humains et les normes environnementales priment sur les intérêts économiques des investisseurs et des entreprises. Il est nécessaire de légiférer en ce sens aux niveaux national, européen et international, afin que des règles similaires s'appliquent à toutes les entreprises, quel que soit l'endroit où elles sont basées ou exercent leurs activités.

Oxfam, ainsi que de nombreuses autres ONG et syndicats belges, font campagne depuis des années en faveur d'une loi sur le devoir de vigilance. ©Lode Saidane

Les différentes étapes pour aboutir à la loi sur le devoir de vigilance


•    2018: Oxfam Belgique cofonde un groupe de travail belge « Corporate Accountability », une coalition d'une vingtaine d'organisations de la société civile belge, dont les deux organisations faîtières d'ONG 11.11.11 et CNCD-11.11.11, les trois syndicats belges (ACLVB-CGSLB, ACV-CSC, ABVV-FGTB), plusieurs ONG et des organisations de défense des droits humains et de l'environnement. Ensemble, iels plaident en faveur d'une législation efficace sur le devoir de vigilance aux niveaux international, européen et belge.


•    2020: Nous proposons un mémorandum commun énonçant les éléments essentiels d'une législation efficace sur le devoir de vigilance. En unissant nos forces, nous suivons les processus politiques au niveau belge, européen et des Nations unies. Une campagne publique conjointe intitulée "Made with respect" vise à obtenir un soutien et à faire pression sur nos décideur.euse.s politiques belges et européen.ne.s. Parallèlement, nous travaillons également au-delà des frontières nationales. Pour influencer le processus politique européen, nous collaborons avec les affiliés d'Oxfam et les organisations partageant les mêmes idées dans d'autres États membres de l'UE, ainsi qu'avec le bureau européen d'Oxfam. Cela nous permet de partager des informations et d'exercer une pression ciblée sur les États membres et les responsables politiques.


•    Mars 2021: le Parlement européen présente une proposition de projet de règles européennes sur le devoir de vigilance des entreprises.


•    Février 2022: la Commission européenne, à l'initiative de Didier Reynders, commissaire européen à la justice, propose une nouvelle "directive relative à l'obligation de diligence raisonnable en matière de développement durable pour les entreprises". Si elle a le mérite d'être une première étape dans la lutte contre l'impunité des entreprises, le contenu de la proposition est largement insuffisante.


•    Décembre 2022: les pays de l'UE se mettent d'accord sur la position à adopter pour cette nouvelle loi européenne. Les ministres affaiblissent encore la proposition de la Commission. La balle est donc dans le camp du Parlement européen.


•    Juin 2023: le Parlement se met d'accord sur leurs grandes lignes de cette législation. Bien qu'il mette clairement plus d'ambition sur la table, de grosses lacunes persistent. Les trois institutions européennes négocient le texte juridique final peu après l'été. Ils ont une échéance claire, car sans un accord début 2024, il sera impossible de délivrer quoi que ce soit au cours de cette législature....


•    Décembre 2023: les pays de l'UE, le Parlement européen et la Commission européenne parviennent à un accord commun sur la loi, épargnant cependant les investisseurs de combustibles fossiles et les secteurs à haut niveau d'exploitation du travail. Il s'agit d'une avancée cruciale, mais aussi d'une occasion manquée.


•    Février 2024: Suite à une démarche sans précédent de l'Allemagne, suivie par l'Italie et la France, les États membres de l'UE bloquent le projet de loi précédemment négocié sur le devoir de vigilance des entreprises. Une large coalition d'ONG et de syndicats belges est indignée par la tournure des événements et appelle les États membres à revenir d'urgence à la table des négociations avec une position plus constructive. Les droits humains et l'environnement ne peuvent plus attendre.


•    Mars 2024: Après deux ans de négociations, les États membres de l'UE approuvent enfin une loi sur le devoir de vigilance des entreprises. Une large coalition d'ONG et de syndicats belges réagit avec soulagement : l'UE fait un pas important vers une meilleure protection des droits humains et de l'environnement. En même temps, la société civile est profondément indignée et s’inquiète du processus antidémocratique ainsi que de l'édulcoration considérable du texte.

 

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