Communiqué de presse28 février 2024

Les États membres bloquent une législation européenne historique sur le devoir de vigilance, les citoyens et la planète paient la facture

À la suite d’une démarche sans précédent de l’Allemagne, suivie par l’Italie et la France, le Conseil de l’UE a bloqué ce 28 février 2024 le projet de directive précédemment négocié sur le devoir de vigilance des entreprises. Le groupe de travail “Corporate Accountability”*, coordonné par le CNCD-11.11.11 et qui réunit une large coalition d’ONG ainsi que les trois syndicats du pays, est indigné par ce blocage et exhorte les Etats membres à s’asseoir d’urgence à la table des négociations avec une attitude plus constructive. Les droits humains et l’environnement ne peuvent en effet plus attendre.

La directive européenne sur le devoir de vigilance - ou plus précisément Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité - était censée obliger les entreprises à prendre des mesures de précaution pour prévenir les violations des droits humains et sociaux ainsi que les atteintes à l’environnement dans les chaînes de valeur mondialisées. La directive devait également permettre d’engager la responsabilité des entreprises en cas de manquement à leur obligation de prévention, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE.

Fin 2023, les États membres étaient déjà parvenus à un accord politique sur cette directive, âprement négocié durant deux ans. Le vote du Conseil devait être une simple formalité. Mais malgré un large soutien public à la directive, y compris de la part des entreprises, le parti libéral allemand au pouvoir, le FDP, a saboté le soutien précédemment promis par l’Allemagne au compromis obtenu. Une manœuvre sans précédent qui a également fait reculer d’autres États membres. La majorité alternative à laquelle travaillait la Présidence belge de l’UE a été sapée à la dernière minute par de nouvelles exigences de la part de la France.

« Ce processus s’est transformé en un spectacle honteux et inquiétant, a déclaré Zoé Dubois, chargée de plaidoyer chez achACT. Sous l’influence d’intérêts nationaux et de la fièvre électorale, plusieurs États membres n’ont pas tenu leur promesse et ont mis en péril la prise de décision démocratique au sein de l’UE ».

« C’est particulièrement regrettable, réagissent unanimement les trois syndicats belges. Les États membres, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, retardent ainsi une occasion historique de protéger les droits humains, les droits du travail et l’environnement. Ils laissent dès lors la porte ouverte à l’impunité des entreprises. Malgré toutes ses limites, cette directive avait le potentiel d’obliger les grandes entreprises à opérer de manière plus responsable, et aurait garanti aux victimes de leurs abus un meilleur accès à la justice. »

Le risque est grand que la directive soit encore affaiblie, voire qu’elle n’atteigne pas le stade de l’adoption finale avant les élections européennes. Pour Sophie Wintgens, chargée de recherche sur le commerce international au CNCD-11.11.11 : « Au lieu de faire capoter les accords conclus, les Etats membres devraient saisir l’occasion de mettre fin à l’impunité des entreprises. Si l’Union européenne prend au sérieux les droits humains et son agenda en matière de développement durable, elle se doit d’adopter cette directive. Nous appelons les Etats membres, en particulier l’Allemagne, l’Italie et la France, à adopter d’urgence une position plus constructive dans les négociations et à chercher une solution avec la Présidence belge. La protection des droits humains et de l’environnement contre l’impunité des entreprises ne peut plus attendre. »

Contexte

  • En mars 2021, le Parlement européen a publié une proposition d’ébauche de règles européennes sur les exigences de vigilance raisonnable pour les entreprises.
  • En février 2022, la Commission européenne a publié une proposition de directive, qui présentait toutefois des lacunes importantes.
  • En décembre 2022, les pays de l’UE se sont mis d’accord sur leur position concernant cette nouvelle législation européenne. Ils ont ainsi dilué la proposition déjà faible de la Commission.
  • En juin 2023, les députés européens se sont mis d’accord sur leur position et ont envoyé un message plus ambitieux aux victimes d’abus des entreprises.
  • En décembre 2023, les pays de l’UE, le Parlement européen et la Commission européenne sont parvenus à un accord commun sur cette législation, qui a épargné les financeurs des combustibles fossiles et les secteurs présentant des niveaux élevés d’exploitation de la main-d’œuvre.
  • Au cours du mois dernier, de nombreuses entreprises, fédérations professionnelles et organisations internationales ont publié des déclarations de soutien à la directive.

Droite