Actualité11 janvier 2022

Les inégalités tuent

Au cours des deux dernières années, des millions de personnes dans le monde ont perdu la vie à cause de la montée des inégalités. La pandémie de coronavirus n'a fait qu'exacerber cette tendance. À tel point que les inégalités représentent un danger toujours plus grand pour la planète entière.

La pandémie nous a rappelé une dure réalité : un accès inégal aux revenus est non seulement source de sociétés injustes, malsaines et malheureuses, mais tue littéralement des gens. Actuellement, les inégalités contribuent chaque jour à la mort de 21.300 personnes, soit une personne toutes les quatre secondes.

Certaines d’entre elles ont perdu la vie parce qu’elles n’ont pas été vaccinées à temps. D’autres par manque d’accès aux soins de santé en raison du sous-financement de la santé publique et parce qu’elles n’avaient pas les moyens de se payer des soins privés. Enfin, des milliers d’autres personnes sont mortes parce que leurs gouvernements ne pouvaient pas - ou ne voulaient pas - leur fournir la protection sociale indispensable pour survivre à la crise. Et pendant cette hécatombe, les super-riches de ce monde se sont enrichis comme jamais et certaines multinationales ont réalisé des bénéfices sans précédent.

Il est évident que les inégalités tuent non seulement les plus vulnérables d’entre nous, mais détruisent aussi la planète. La stratégie qui consiste à privilégier les profits au détriment des personnes nous condamne à vivre sur une planète inhabitable, sur laquelle les marchés ne feront prospérer personne et la croissance ne sera plus qu’un concept vide de sens.

Nous dénonçons cette évolution destructrice à l’occasion de l’«Agenda de Davos », la session d’hiver du Forum économique mondial qui aura lieu en mode virtuel du 17 au 21 janvier, dans notre rapport annuel sur les inégalités accessible au téléchargement au bas de cet article.

À force de faire passer le profit avant le bien-être des personnes, nous allons rendre notre planète inhabitable

Des richesses inégalement réparties

Pendant que Jeff Bezos, le deuxième homme le plus riche de la planète, s'envolait dans l'espace avec ses amis en juillet 2021, des millions de personnes mouraient parce qu'elles ne pouvaient pas se faire vacciner ou acheter de la nourriture. En effet, l'année dernière, 14.000 personnes sont mortes de faim chaque jour. Dans le même temps, la fortune de 2.755 milliardaires a davantage augmenté pendant la pandémie qu'au cours des 14 dernières années. Il s’agit de la plus forte augmentation annuelle de la fortune des milliardaires depuis que ce type de données est recensé, et cela concerne tous les continents.

Quelques chiffres:

  • Les 10 personnes les plus riches possèdent ensemble plus de richesses que les 3,1 milliards de personnes les plus pauvres.
  • Les 1 % les plus riches se sont accaparé 19 fois plus de la croissance globale des richesses que les 50 % les plus pauvres de l’humanité depuis 1995.
  • La fortune des 10 hommes les plus riches du monde a doublé, alors que les revenus de 99 % de l’humanité sont moins importants que prévu à cause de la COVID-19.
  • En Belgique, les 1% les plus riches possèdent maintenant 15% des richesses – c’est plus que la fortune cumulée des 50% les moins riches.
  • Si les 10 hommes les plus riches dépensaient chacun un million de dollars par jour, il leur faudrait 414 ans pour dépenser leur fortune.

Accès inégal aux vaccins

Ces deux dernières années, 17 millions de personnes sont mortes à cause de la COVID-19, un bilan humain sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce chiffre élevé est une conséquence directe des inégalités. Il est évident aujourd’hui que des millions de personnes seraient encore en vie si elles avaient été vaccinées. Mais elles ont été privées de ce privilège à cause du refus des grandes entreprises pharmaceutiques de lever les brevets sur les vaccins anti-covid. L’apartheid vaccinal qui en résulte tue des gens et ne fait qu’accroître le fossé des inégalités.

En outre, le FMI, la Banque mondiale, le Crédit suisse et le Forum économique mondial ont tous indiqué que la pandémie a déclenché un pic des inégalités entre les pays.

Enfin, en soutenant les monopoles pharmaceutiques et en s’appropriant les vaccins pour protéger leurs propres populations, les pays riches favorisent l'émergence de mutations du virus. Et ceux-ci représentent à nouveau un risque pour leurs propres populations.

Inégalités, climat, sexisme et racisme

Les inégalités sont également néfastes pour notre planète. Même si nous subissons toutes et tous les conséquences du réchauffement climatique, les pays riches sont responsables de 92 % des émissions de carbone, alors que ce sont surtout les pays à revenu faible et intermédiaire qui sont en première ligne. Cela ne fait aucun doute, la crise climatique est causée par la surconsommation des personnes les plus riches. La preuve par l’exemple : les 1% de personnes les plus riches émettent deux fois plus de CO2 que les 50% de personnes les plus pauvres de la planète. L’écart est tel que le milliardaire Roman Abramovitch, propriétaire du Chelsea Football Club, émet au moins 33 859 tonnes de CO2 par an à lui tout seul. Une personne moyenne aurait besoin de 7.000 ans pour en émettre autant !

La pandémie a aussi eu un impact fondamental sur l'égalité femmes-hommes : jusqu’à présent, elle a fait reculer de plus d’une génération l’horizon pour atteindre la parité, passant de 99 à 135 ans. Notre rapport observe notamment que les hommes ont été plus nombreux à réintégrer le marché du travail que les femmes, après avoir basculé dans l’inactivité ou le chômage des suites du ralentissement de l’économie entraîné par la pandémie. Pour couronner le tout, les femmes se sont vu confier des responsabilités supplémentaires en matière de soins. En Belgique, beaucoup plus de femmes que d'hommes se sont tournées vers le congé corona sous forme de chômage temporaire de force majeure pour la garde d’un enfant ou d’un autre membre de la famille.

Les personnes racisées ont également été plus touchées par la pandémie : on constate par exemple que les décès imputables à la pandémie sont plus nombreux parmi les personnes racisées et les personnes en situation de pauvreté, et ce partout dans monde. En Angleterre, pendant la deuxième vague, les personnes d’origine bangladaise étaient cinq fois plus susceptibles de mourir de la COVID-19 que la population britannique blanche.

Les super-riches belges

Évolution de la richesse des multimillionnaires belges (qui possèdent des actifs supérieurs à 5 millions de dollars):

  • En 2021, la Belgique comptait 3.115 multimillionnaires, un chiffre en hausse de 12% par rapport à 2020.
  • La richesse totale des multimillionnaires a augmenté de 52 milliards de dollars en 2021, soit une hausse de 21% par rapport à 2020.

Évolution de la richesse des super-millionnaires belges (avec des actifs supérieurs à 50 millions de dollars) :

  • Le nombre de super-millionnaires a augmenté de 20 % en 2021, soit une augmentation de 125 personnes.
  • La richesse totale des super-millionnaires a augmenté de 19,6 milliards de dollars en 2021, soit une hausse de 21 % par rapport à 2020.

Les inégalités sont un choix politique

Les inégalités ne sont pas le fruit du hasard. Elles sont le résultat de politiques structurelles taillées pour le plus grand bénéfice des personnes les plus riches et les plus puissantes, et qui nuisent au bien-être de la grande majorité des citoyen.ne.s dans le monde, victimes de cette violence économique. 

En d’autres termes, le fait que les décès frappent beaucoup plus les personnes en situation de pauvreté, les femmes, les filles et les groupes racisés que les personnes riches et privilégiées n’a rien d’accidentel dans la forme dominante actuelle du capitalisme, mais en est une composante essentielle.

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Réformer l’économie pour plus d’égalité

Les gouvernements peuvent inverser cette dangereuse tendance vers toujours plus de concentration des richesses entre les mains des plus riches.

L’argent ne manque pas. Ce mensonge a volé en éclats lorsque les gouvernements ont débloqué 16.000 milliards de dollars pour faire face à la pandémie. Seule la volonté politique fait défaut.

Il existe de nombreux moyens de parvenir à une plus grande égalité, sur le plan économique, social et de l'égalité des genres. Mais seules des solutions systémiques permettront de lutter contre la violence économique et de jeter les bases d'un monde égalitaire. Cela nécessite un plan ambitieux visant à modifier les règles économiques ainsi qu'à répartir plus équitablement le pouvoir et les revenus.

Nos propositions

1. Taxer les richesses extrêmes au bénéfice d'une économie solidaire

Tous les gouvernements devraient immédiatement taxer les profits réalisés par les grandes fortunes pendant cette pandémie. Par exemple, un impôt exceptionnel de 99 % sur les richesses amassées depuis mars 2020 par les 10 hommes les plus riches au monde permettrait à lui seul de lever 812 milliards de dollars, de l’argent qui pourrait refinancer les soins de santé et les allocations sociales. De telles mesures ne sont pas utopiques puisqu’elles ont été mises en place au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Cette mesure ponctuelle doit évoluer vers des impôts progressifs permanents sur le capital et la fortune afin de réduire les inégalités de richesse. Ces efforts doivent s’accompagner d’autres mesures fiscales destinées à soutenir les économies vulnérables.

2. Réorienter cette richesse pour sauver des vies et investir dans notre avenir

La pandémie a montré de façon tragique que nous avons besoin de soins de santé et d'une protection sociale universels de qualité, financés par les pouvoirs publics et accessibles à toutes et tous. Elle rappelle également que les gouvernements doivent investir davantage de moyens pour mettre fin aux violences fondées sur le genre : nous avons non seulement besoin de plus de prévention mais aussi d'abroger les lois sexistes et de soutenir financièrement les organisations de défense des droits des femmes.

Enfin, les gouvernements des pays riches doivent financer entièrement l’adaptation au changement climatique et soutenir les mécanismes de pertes et préjudices nécessaires pour surmonter la crise climatique et créer un monde sans énergie fossile.

3. Changer les règles et les rapports de force dans l'économie et la société

Les plans de relance mis en place pour sortir de la crise du coronavirus doit permettre de changer vraiment de modèle économique. Le bien-être des personnes et de la planète doit occuper une place centrale dans ce nouveau modèle, au lieu de la croissance et du profit. Les gouvernements doivent modifier les lois pour mieux distribuer, en amont, les revenus au sein de la population. Cela passe par l’abolition des lois qui restreignent les droits des travailleurs et des travailleuses et des syndicats et de prendre des mesures pour les protéger.

Enfin, les femmes et les personnes racisées doivent être mieux représentées dans le processus de décision politique.

Les gouvernements peuvent choisir entre une économie violente ou une économie égalitaire

Miser sur une économie égalitaire

La priorité absolue est de mettre fin à la pandémie. Pour ce faire, les gouvernements doivent lever les monopoles détenus sur les vaccins et les technologies, par l’entremise de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Tant que ce ne sera pas le cas, la pandémie perdurera, des millions de personnes mourront inutilement et les inégalités continueront de s’aggraver.

Les leaders des pays riches peuvent faire le choix entre une économie violente et une économie égalitaire. Dans le premier cas, les milliardaires s'enrichissent, des millions de personnes continuent de perdre la vie, des milliards de personnes continuent de s'appauvrir et nous épuisons notre planète. Dans le second cas, personne ne vit dans la pauvreté ou dans une richesse absurde, les inégalités ne tuent plus et tout le monde parvient à vivre dignement sur une planète qui respire à nouveau. C’est le choix qui se présente à nous aujourd’hui et que les générations futures jugeront.

Inequality kills

Lire le rapport complet (en anglais).

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