La gestion de l’eau dans les camps sahraouis en trois questions
Près de 174.000 réfugié.e.s sahraoui.e.s vivent depuis 1976 dans cinq camps autour de la petite ville algérienne de Tindouf. Ils s’étendent sur une superficie de 6.000 km² dans un désert des plus inhospitaliers qui rend les conditions de vie des personnes réfugiées précaires. Les nappes de la région permettent d’approvisionner en eau l’ensemble des Sahraoui.e.s mais le stockage de l’eau et son acheminement vers les familles posent de nombreux défis aux acteurs humanitaires sur place. Ahmed Walid Moulahoum, est ingénieur hydrolicien et travaille dans les camps sahraouis depuis deux ans pour le compte d’Oxfam. Il a pour mission de veiller aux ressources d’eau dans les camps, d’optimiser son usage et d’en contrôler la qualité. Nous lui avons posé trois questions pour mieux comprendre la problématique de l’eau dans la région, et plus particulièrement dans le camp de Boujdour, où Oxfam est active.
1. L’unique source d'eau disponible dans les camps provient de nappes d’eau souterraines. L'eau en est extraite par des forages et est relativement faible en termes de volume. Comment Oxfam travaille-t-elle à l'optimisation de l’approvisionnement en eau dans les camps ?
Actuellement, Oxfam est essentiellement active dans le camp de Boujdour. L'eau qui alimente le camp est extraite à l’aide de forages effectués dans une zone située à 6 km des habitations. Cette eau est trop salée pour être potable et nous sommes donc contraints de la faire passer par une usine de dessalement avant de la transporter vers les familles sahraouies à l'aide de camions-citernes. C’est un processus lourd et coûteux que nous voulons simplifier. Nous sommes donc en train de remplacer le système de livraison par camions par un nouveau réseau d'eau en cours de construction qui sera à terme connecté à des robinets publics. Cependant, la quantité d’eau extraite reste insuffisante : nous prévoyons donc d’effectuer prochainement de nouveaux forages et de construire une nouvelle usine de dessalement. Les communautés sont bien entendu impliquées dans ce processus et nous travaillons avec les autorités sahraouies pour que celles-ci soient à même de gérer la maintenance des 70 kilomètres de canalisations que nous sommes en train d’installer et qui seront opérationnelles en 2023.
2. Les camps sahraouis ont vu le jour dans le sud-ouest de l'Algérie en 1975. Si le conflit devait encore se prolonger dans le temps, quels seront d’après vous les principaux besoins en matière d'eau et d’hygiène à moyen terme ? Le réchauffement climatique risque-t-il d'aggraver la pénurie d'eau ?
L'eau restera notre principal sujet de préoccupation dans les années à venir car nous sommes dépendants d’une source unique, à savoir l’eau puisée dans l’aquifère souterrain à proximité des camps. Il est urgent de faire une analyse de la qualité de l’eau présente dans les nappes de la région mais aussi d’estimer la quantité d’eau souterraine. C’est crucial pour mieux évaluer l'impact d'une extraction potentiellement excessive et celui du réchauffement climatique sur les masses d’eau disponibles. Nous devrons par ailleurs consacrer plus de moyens pour améliorer l’étanchéité des pompes à eau et des canalisations afin de réduire les pertes en eau à néant.
Au niveau de l’hygiène, la question du traitement des déchets et des eaux usées continuera d’être essentielle pour limiter la pollution de l’environnement direct des populations réfugiées et préserver leur santé.
3. Oxfam conçoit ces canalisations d'eau sur base de techniques éprouvées et en consultation avec la population réfugiée et les autorités sahraouies. Pouvez-vous nous dire comment les Sahraoui.e.s sont impliqué.e.s dans ce processus et pourquoi vous pensez que c'est important ?
Oxfam met un point d’honneur à impliquer les communautés du camp à chaque phase du projet. Nous avons pris le temps de consulter plus de 300 familles avant que les travaux ne commencent pour mieux comprendre leurs besoins et nous continuerons de dialoguer avec elles pour bien prendre en compte leurs inquiétudes, voire leurs plaintes. Nous voulons absolument éviter toute tension entre les familles dans un contexte où l’eau est rare, ce qui peut parfois susciter des tensions.
Nous travaillons également en étroite collaboration avec le département de l’eau sahraoui afin de mieux identifier les familles qui n’ont pas les moyens de se procurer ou d’entretenir leurs réservoirs d’eau de manière optimale et ainsi éviter l’accumulation de micro-organismes. Nous leur avons distribué des réservoirs conformes aux normes d'hygiène et fourni les détergents nécessaires.
Avant d’installer les robinets, nous avions aussi veillé à identifier les familles les plus vulnérables économiquement parlant, celles qui comptent le plus de personnes âgées ou à mobilité réduite et les avons placés le plus près possible de leurs maisons. Nous voulons vraiment garantir un accès égal et universel à l'eau à chaque personne dans le camp.
L'eau restera notre principal sujet de préoccupation dans les années à venir
Ahmed Walid Moulahoum, ingénieur hydrolicien dans les camps sahraouis
* Le projet déployé à Boujdour bénéficie du financement de l'Union Européenne (Protection Civile et Opérations d'aide humanitaires européennes).