Règlement européen sur la déforestation : « Les jeux politiques ont porté un coup dur à la loi sur la déforestation importée », dénonce Oxfam
Lors d'un vote contesté par la société civile, une majorité composée de députés du PPE, des ECR (Conservateurs et Réformistes), des Patriotes pour l’Europe et de l’Europe des nations souveraines, est parvenue à affaiblir le Règlement européen sur la déforestation jeudi en proposant une série d’amendements visant à affaiblir ses dispositions et en approuvant un report d'un an de la loi.
Cette législation, approuvée il y a deux ans à une écrasante majorité, visait à garantir que des produits tels que l'huile de palme, le caoutchouc, le cacao et le soja ne puissent pas provenir de terres déboisées et exigeait des importateurs qu’ils soient en mesure de garantir une traçabilité totale.
Les amendements approuvés hier, par 371 voix pour, 240 contre et 30 abstentions, ont rendu l'application de la loi incertaine, au grand dam des agriculteurs des pays du Sud global et même de nombreuses entreprises du monde entier.
« L'UE a trainé des pieds pendant de longs mois » dénonce Bart Van Besien, chargé de plaidoyer chez Oxfam Belgique et expert de la filière cacao. « Alors que la loi était censée entrer en vigueur le 30 décembre 2024, les documents d'accompagnement n'ont été présentés qu’en octobre de cette année. La Commission européenne a finalement proposé de repousser sa mise en œuvre d'un an, la reportant à la fin de l'année 2025 ». Après avoir été approuvée par le Conseil européen, cette proposition devait encore passer par le Parlement européen, chose faite hier après-midi.
Des amendements qui réduisent l’ambition du texte
Au cours des semaines chaotiques qui ont précédé le vote, le Parti populaire européen (PPE) a introduit une série d'amendements qui ont rouvert les débats sur le contenu du texte de loi. Certains de ces amendements ont été adoptés de justesse, le PPE recevant entre autres le soutien de factions d'extrême droite. L'amendement le plus problématique introduit une catégorie de pays, appelés « pays à risque zéro », pour lesquels le texte de loi prévoit de ne faire aucune vérification et dont les produits pourront donc être importés sans devoir garantir de traçabilité.
Cet amendement affaiblit considérablement la législation car il augmente la probabilité de blanchiment de matières premières provenant de zones déboisées par le biais de ces pays considérés « sans risques ».
Le règlement européen est également un coup de force protectionniste, étant donné que presque tous les États membres de l'Union européenne devraient être classés comme pays « à risque zéro ». Cet amendement pourrait entraîner le dépôt de plaintes auprès de l'OMC de la part de pays tiers.
Les entreprises dénoncent le chaos que créerait un tel règlement
Depuis plusieurs semaines, les amendements considérés comme favorables aux entreprises font l'objet de réactions négatives de la part d'un nombre croissant d'acteurs privés, dont Carrefour, ETG, Ferrero, Mars, Michelin, Nestlé, Unilever, Barry Callebaut et Lidl. Nombre de ces entreprises reconnaissent que la protection des forêts est essentielle à la survie de leurs modèles commerciaux. Elles souhaitent également que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, plutôt que de se retrouver dans le chaos actuel dans lequel ce texte de loi mettrait les acteurs concernés par une législation qui, rappelons-le, a pour objectif premier de limiter l’impact de la demande européenne sur la déforestation mondiale.
Ironiquement, le seul amendement (AM12) qui aurait réellement renforcé le Règlement européen sur la déforestation a été rejeté. Cet amendement aurait engagé l'UE à dialoguer avec les pays tiers pour faciliter la mise en œuvre de la loi. Un tel renforcement aurait pu grandement bénéficier à la loi européenne sur la déforestation importée. L'une de ses principales faiblesses réside dans le fait que l'UE néglige presque totalement les efforts visant à soutenir les pays tiers, ce qui risque d'exclure les petits exploitants agricoles, entre autres.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Les amendements sont maintenant renvoyés à la Commission européenne et au Conseil européen. Comme l'a montré la tentative d'affaiblir la directive sur le devoir de vigilance, il est clair qu'une partie importante du Parlement européen est prête à sacrifier une législation historique. « Cela nuit à la crédibilité de l'UE, aussi bien auprès des citoyens européens qu'au sein de la communauté des affaires. Nous ne pouvons qu'espérer une résurgence du leadership européen sur des questions politiques aussi cruciales, dans un monde qui se dirige tout droit vers un désastre climatique et de la biodiversité », conclut Bart Van Besien.