Communiqué de presse21 décembre 2023

Salaires, accès à la terre, statuts, héritage : Oxfam pointe des inégalités de genre criantes dans l’agriculture wallonne

Oxfam Belgique publie aujourd’hui un rapport inédit sur la situation des femmes agricultrices en Wallonie. Intitulé « Défricher le genre dans l’agriculture wallonne », il révèle que l’agriculture wallonne est encore fortement basée sur une division sexuelle du travail, ce qui exacerbe les inégalités de genre. Les femmes sont surreprésentées parmi les conjoint.es-aidant.es, représentent 30% de la main d’œuvre régulière totale et seulement 16% des chef.fes d’exploitation.

Des inégalités exacerbées dans tous les domaines

·         Inégalités de statut : il ressort du rapport que les agricultrices sont surreprésentées dans les statuts qui accordent de faibles droits : droits à la sécurité sociale, droits de propriété sur les terres et sur les exploitations. C’est notamment le cas du statut de conjoint.e aidant.e. Bien que ce statut ait évolué avec le temps, la pension à laquelle il donne droit est insuffisante.

·         Divorce : les divorces sont rares en agriculture car ils contraignent un.e des conjoint.es à quitter leurs lieux de vie et de travail. Même lorsque les divorces ont lieu, les agricultrices sont désavantagées. En effet, l’institution judiciaire ne reconnaît généralement pas à sa juste valeur la contribution économique – productive ou financière – des femmes dans les exploitations agricoles au moment des divorces. C’est pourquoi, les agricultrices divorcées se retrouvent fréquemment dans une situation économique largement plus défavorable que celle de leur ex-mari.

·         Inégalités de revenus : la majorité des fermes (87 %) ont un statut de « personne physique ». Dans le cas des entreprises en qualité de personnes physiques, les indépendant.es ne sont pas obligées de se verser de salaire et touchent directement les revenus de leurs activités. Parmi la main-d’œuvre familiale (hors chef.fe d’exploitation), 9 personnes sur 10 sont non-salariées ; soit 95 % des femmes.

·         Accès à la terre : Les agricultrices ont moins facilement accès à la propriété que les agriculteurs (crédits, héritage...). En effet, pour un même projet, les prêts bancaires accordés aux agricultrices sont moins importants que ceux octroyés aux agriculteurs, et, obtenus moins facilement.

·         Héritage : le patrimoine familial est moins facilement mobilisable chez les agricultrices que chez les agriculteurs. En effet, dans l’imaginaire collectif, on se représente l’agriculture comme un métier masculin. Dans la pratique, l’héritage des exploitations se fait traditionnellement encore majoritairement vers les hommes en Wallonie.

Sous-représentation dans les organismes agricoles

Le rapport révèle que les agricultrices sont sous-représentées dans différents organismes agricoles : syndicats, centres de recherche, structures para-agricoles, etc. Cette faible participation des femmes dans les instances de décision du monde agricole conduit à une non prise en compte de leurs spécificités, leurs besoins et leurs intérêts dans les politiques agricoles. Le rapport suggère que les quotas permettraient de prendre davantage en compte la situation des agricultrices dans les politiques agricoles, tout en notant que cette parité doit s’accompagner de changements structurels profonds : il faut déconstruire les normes de genre et empouvoirer les femmes.

Le travail des agricultrices est invisibilisé et dévalorisé

Le travail des agricultrices, s’exerçant dans la plupart des cas à l’intérieur de l’exploitation est invisibilisé et moins valorisé que celui des hommes, s’exerçant à l’extérieur de la ferme. Ce sont majoritairement les agricultrices qui s’occupent de la gestion de l’exploitation et de l’administratif, des tâches souvent ignorées alors qu’elles sont fondamentales au bon fonctionnement d’une exploitation et nécessitent un temps considérable. De plus, la répartition des tâches domestiques dans les exploitations agricoles familiales est plus inégalitaire que dans le reste de la société, ce qui alourdit considérablement la charge mentale des agricultrices et freine leur engagement syndical.

Des inégalités intersectionnelles

Le rapport relève des inégalités de genre dans le monde agricole ressenties de manière plus importante par les groupes sociaux qui subissent plusieurs formes d’oppressions croisées, en particulier les agricultrices saisonnières, ou travaillant occasionnellement, les femmes migrantes et racisées. En effet, elles se trouvent fréquemment en situation de grande précarité et d’instabilité économique. La réglementation est particulièrement laxiste en ce qui concerne leurs droits et leurs salaires. Les contrats sont journaliers et le nombre d’heures prestées n’est pas suffisant pour ouvrir un droit aux allocations chômage.

Le rapport dévoile à ce propos que la moitié des travailleur.euses saisonnier.es travaillent dans l’horticulture, où le salaire minimum est l’un des plus bas de Belgique, s’élevant seulementà 9,35 euros brut de l’heure. Enfin, au niveau européen, on observe que les agricultrices sont plus enclines à être victimes de violences sexistes et sexuelles, à la traite des personnes et à l’emprise psychologique.

Agriculteur.trices de la communauté LGBTQIA+

Défricher le genre dans l’agriculture en Wallonie relève également la difficulté à affirmer son genre et sa sexualité dans un milieu où l’hétéronormativité prime. En effet, il y a peu de structures d’information et d’éducation à la sexualité dans les territoires ruraux par rapport aux milieux urbains. De plus, comme la densité de médecins est faible, l’accès aux informations sur la sexualité et la santé

sexuelle est limitée. Le rapport salue toutefois une évolution, dont le développement de structures visant à sensibiliser les plus jeunes à la transidentité et à l’homosexualité en Wallonie.

Recommandations

Le rapport contient 9 recommandations visant à réduire les inégalités de genre dans le monde agricole wallon, dont voici les principales :

·         Déconstruire les normes de genre : en intégrant les questions de genre dans les programmes scolaires et agricoles, en remettant en question l’inégale distribution des tâches productives et reproductives et en facilitant l’accès aux femmes aux formations agricoles.

·         Collecter des données solides : afin de mieux identifier les inégalités et discriminations existantes et de mettre en œuvre des politiques publiques plus inclusives.

·         Respecter et appliquer les droits de la main-d’œuvre saisonnière : renforcer la législation pour les travailleurs et les travailleuses qui subissent des abus, rehausser leurs salaires et faciliter l’accès au travail agricole et au droit foncier des populations réfugiées dans les milieux ruraux.

·         Renforcer les investissements publics en zone rurale : en augmentant la disponibilité des services de soins, en investissant dans les services d’aide pour les violences sexistes ou encore en améliorant la représentativité des femmes et des personnes non-binaires dans les instances de décision agricoles, notamment à l’aide de quotas.

·         Garantir aux agricultrices des statuts attractifs qui donnent droit à une protection sociale juste : notamment, revaloriser le statut de conjoint.e-aidant.e et adapter la protection sociale au monde agricole.

Notes aux rédactions

·         Le rapport est accessible au téléchargement ici.

·         Les autrices du rapport sont disponibles pour répondre à toute question.

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