Manenji driecteur Oxfam RDC
Actualité2 juin 2025

ENTRETIEN | Le directeur d'Oxfam en RD Congo alerte : « Nous faisons face à une catastrophe humanitaire de grande ampleur. »

La situation humanitaire à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est dramatique. Plus de 7 millions de personnes sont aujourd'hui déplacées à travers le pays, un chiffre sans précédent. Depuis 2021, le conflit a connu une intensification brutale, opposant principalement les Forces armées de la RDC (FARDC), appuyées par des groupes armés alliés, aux rebelles du M23. Fin janvier 2025, les offensives du M23 ont entraîné la chute de Goma, puis celle de Bukavu en février. Cette nouvelle escalade a provoqué des déplacements massifs de population et une crise humanitaire majeure. 

C’est dans ce contexte que nous avons rencontré Manenji Mangundu, directeur d’Oxfam en RDC, de passage à Bruxelles pour participer au Forum humanitaire européen et mener des actions de plaidoyer auprès de l’Union européenne et de la Coopération belge (DGD). Il dresse un constat alarmant, entre déplacements massifs, difficultés d’accès humanitaire et manque cruel de financement. 

 

La RDC fait face à une crise humanitaire sans précédent, notamment à l’Est. Quelle est la situation sur place ? 

La situation est très mauvaise, pour être honnête. Depuis fin janvier 2025, les combats ont fait basculer la région dans une nouvelle spirale de violence. Goma est tombée, puis Bukavu. Plus de deux millions de personnes sont affectées rien que dans la région de Goma. 

Les aéroports de Goma et de Bukavu sont fermés, les entrepôts humanitaires ont été pillés, les camps de déplacés démantelés. Malgré les discussions diplomatiques, notamment sous l'égide des États-Unis, du Qatar, de l'Union européenne et d'institutions sous-régionales comme la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), les combats continuent. Les cessez-le-feu, quand ils sont obtenus, ne sont pas toujours respectés d’ailleurs. Certains groupes armés ne suivent pas toujours les consignes. Ce week-end encore, il y a eu des affrontements avec des dizaines de personnes tuées. 

Comment cela affecte-t-il les personnes déplacées ? 

Après la prise de Goma, les personnes déplacées vivant dans les camps aux alentours de la ville ont été contraintes de partir sous un délai de 72 heures, sans alternative claire ni assistance adaptée. Cela a aggravé leur vulnérabilité et leur détresse humanitaire. Près de 700 000 personnes y vivaient. Beaucoup ont dû partir sans destination précise, sans accompagnement. 

Des milliers de personnes déplacées fuient vers d'autres villages, comme Minova, où nous comptons aujourd'hui 80 000 personnes déplacées. À Sake, il y en a 60 000. Elles sont accueillies par des familles hôtes, dans des conditions très précaires. 

Notre défi le plus important consiste à adapter notre réponse à un contexte changeant, avec moins de moyens. Nous avions installé des systèmes d’eau, des latrines dans les camps. Désormais, nous devons intervenir directement dans les villages. Il faut systématiquement tout repenser.  

Manenji Oxfam director DRC

Et sur le plan logistique, comment intervenez-vous ? 

Par exemple à Minova, nous mettons en place des systèmes d’adduction d’eau. Nous capturons l'eau des sources, construisons des points de distribution. Nous faisons aussi des transferts monétaires. Mais les défis sont immenses. Les gens sont déplacés plusieurs fois. Nos équipes partent à la rencontre des personnes déplacées pour savoir où elles se trouvent. On se coordonne avec d’autres ONG et nous intervenons en priorité là où le soutien est inexistant. Mais, comme je le disais, les besoins sont exponentiels. 

Combien de personnes Oxfam parvient-elle à aider aujourd’hui ? 

Actuellement, nous atteignons environ 150 000 personnes. Avant les coupes budgétaires de l’USAID, le plus grand pourvoyeur humanitaire mondial, décrétées par l’administration Trump, nous en aidions 750 000. Aujourd’hui, avec un budget beaucoup plus restreint, notamment grâce à l’Union européenne (ECHO), la DGD et les dons levés par Oxfam, nous faisons ce que nous pouvons. Nous menons des distributions d’eau potable, construisons des infrastructures sanitaires et accompagnons les populations hôtes à absorber les milliers de personnes déplacées qu’elles accueillent chez elles. Nos équipes interviennent dans des zones reculées, parfois à moto ou à pied, pour rejoindre celles et ceux qui sont oubliés des grands axes humanitaires. À Goma, même lorsque la ville est tombée, nous avons continué d’intervenir. Avant les coupes budgétaires, nous atteignions 400 000 déplacés sur les 700 000 présents dans la région. 

En plus de l’urgence, nous poursuivons nos projets de relèvement dans les zones plus ou moins épargnées par la guerre. Cela va du renforcement de la sécurité alimentaire à travers l’agriculture à la protection contre les violences de genre en contexte de guerre. Notre approche est toujours de combiner l'aide immédiate à une vision de long terme. 

Quel impact les coupes de l’USAID ont-elles eu sur vos programmes à l'est du congo? 

L'USAID finançait des activités d'urgence : accès à l'eau, à la protection, à l'hygiène. Des équipes mobiles intervenaient dans trois provinces (Nord Kivu, Sud Kivu, Ituri). Nous avons dû arrêter une grande partie de ces activités. Les populations concernées n’ont plus rien. Nous cherchons des moyens de compenser ces pertes abruptes et dramatiques pour les gens.

Quel est le rôle de la Coopération belge aujourd’hui ? 

La Belgique reste un partenaire important. Le programme financé par la DGD touche 34 750 personnes dans des zones comme Beni, Lubero, Mahagi. Il vise à renforcer la sécurité alimentaire, les opportunités économiques, l’accès à l’eau, à l’assainissement, et la protection. Nous avons activé une réponse d'urgence grâce à ces fonds, notamment à Beni. 

Avez-vous rencontré les autorités belges ? 

Oui, nous avons rencontré le ministre des affaires étrangères et de la coopération Maxime Prévost. Il a réaffirmé que la RDC restait une priorité, malgré les contraintes budgétaires. C'est essentiel de maintenir ce soutien, surtout à l’heure où les coupes budgétaires dans la coopération sont légion dans les chancelleries occidentales, y compris en Belgique malheureusement.  

Comment vont vos collègues et vos partenaires sur place ? 

C'est très difficile pour mes collègues et pour les nombreuses ONG congolaises avec lesquelles nous travaillons en partenariat. Beaucoup vivent en zone de conflit depuis des années. Ce qu'ils demandent avant tout, c'est la paix. Ils veulent rester aux côtés des populations qu’ils soutiennent. 

Manenji Mangundu, directeur d'Oxfam en RD Congo

Une paix juste et durable est celle qui se construit de manière inclusive, avec la participation de toute la société civile, en particulier des femmes. C'est cette paix qui permettra aux communautés de rester dans leurs villages sans violence.

Quelle serait, selon vous, une paix juste pour la RDC ? 

Une paix juste et durable est celle qui se construit de manière inclusive, avec la participation de toute la société civile, en particulier des femmes. C'est cette paix qui permettra aux communautés de rester dans leurs villages sans violence, de cultiver leurs champs, d'accéder aux marchés sans contraintes et aux services sociaux de base, comme la santé et l’éduction. C'est aussi celle qui offre aux familles la possibilité d'éduquer leurs enfants et de les voir s’épanouir pleinement. Une paix où les autorités trouvent une solution politique, durable, à un conflit vieux de 30 ans. 

Quel est le message principal de votre travail de plaidoyer ? 

Nous plaidons pour une paix véritable. Il faut que tous les acteurs militaires étrangers quittent la RDC. Un financement humanitaire adapté est essentiel pour répondre aux besoins immédiats des populations congolaises. Sans ce soutien, le développement ne peut être envisagé durablement. La transition écologique des pays occidentaux ne doit pas se faire au détriment de ces communautés, qui en subissent les conséquences sans en tirer les bénéfices.  

Le lien entre les minerais et le conflit est central. Que pensez-vous des discours européens sur ce sujet ? 

Je ne suis pas convaincu qu’il y ait une véritable volonté d’agir. Même son de cloche aux Etats-Unis avec leur discours sur les "minerals for peace" (l’idée d’un accord entre la RDC et Washington en échange d’une aide à la sécurité), qui est flou. L’Union européenne dit vouloir du changement, mais nous ne voyons pas les actes. Le Parlement européen en a débattu, mais les violations des droits persistent. 

Quel rôle pour la MONUSCO aujourd’hui ? 

Là où la MONUSCO (la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo) est présente, la protection des civils est renforcée. Mais elle est aujourd'hui sous-dimensionnée. Il faut reconsidérer sa présence et son mandat. Le retrait en cours laisse des zones entières sans protection. 

Un dernier message ? 

La communauté belge doit savoir que 7,8 millions de personnes sont déplacées à l’Est de la RDC. Il est urgent d'agir, d’alerter vos élus sur le Congo qui est oublié, de compenser les pertes de financement et d'encourager une véritable transition vers la paix. Les populations ont besoin d'accès à l'eau, à la santé, à l'éducation. Ce sont des droits fondamentaux. 

 

Propos recueillis en mai 2025, lors d’une rencontre avec le directeur d’Oxfam RDC à Bruxelles.

Comment puis-je aider ?

En faisant un don au fonds d’urgence d’Oxfam Belgique. Votre soutien est essentiel pour nous permettre de répondre aux besoins grandissants de la population.

Manenji Oxfam director DRC
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