Oxfam est allée à la rencontre des entreprises du BEL20 pour parler climat
En juin 2023, Oxfam Belgique a publié une étude qui a fait beaucoup de bruit en collaboration avec Carbon4Finance afin d’évaluer l'empreinte carbone de 14 entreprises du Bel20. Notre rapport a démontré que face à la crise climatique, les grandes entreprises belges continuaient d’engranger des profits records et à privilégier la rémunération de leurs actionnaires plutôt que d’investir dans une transition vers un monde décarboné.
Dans le sillon de ce rapport, nous avons lancé une pétition pour demander aux entreprises de mettre en place de véritables solutions pour freiner la crise climatique. 21.439 personnes ont ajouté leur voix à la nôtre. Oxfam Belgique a décidé d’aller porter les revendications de ces milliers de personnes directement aux principales concernées. Nous sommes allés à la rencontre d’entreprises du Bel20 pour parler climat.
Julien Desiderio, chargé de plaidoyer en justice fiscale chez Oxfam Belgique, était en charge de la publication du rapport. Au côté de la direction d’Oxfam Belgique, il s'est entretenu avec Proximus et Colruyt. Un rendez-vous avec Solvay est également à suivre. Mise en lumière de ces rencontres enrichissantes.
- Pourquoi avoir choisi de rencontrer Proximus, Colruyt et Solvay ?
Julien Desiderio : « L’objectif commun des entreprises devrait être de diminuer suffisamment les émissions de gaz à effet de serre de leurs activités afin de s'aligner sur l‘objectif fixé en 2015 par les Accords de Paris dont l'ambition est de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C. Si l’objectif est commun, les pistes et les stratégies pour atteindre cet objectif sont par contre très variées en fonction des entreprises et des secteurs d’activité. En effet, certains pans de l’économie sont encore très dépendants de la consommation d’énergies fossiles alors que d’autres sont bien plus avancés dans leur transition. En choisissant Proximus, Colruyt (qui faisait encore partie du Bel20 durant la rédaction du rapport) et Solvay (récemment scindée entre Syensqo et Solvay), nous avons voulu mieux comprendre la diversité des enjeux de transition pour trois secteurs importants de l’économie belge : les télécoms, la grande distribution et la chimie. »
- Quels étaient les principaux messages adressés aux entreprises ?
« Nous avons voulu porter la voix des plus de 21.000 personnes qui ont signé notre pétition. Nous avons donc principalement abordé trois thématiques avec les entreprises. D’abord, nous avons voulu savoir quels étaient leurs objectifs de réduction des émissions de CO2 et quels plans de transition mettaient-elles en place pour y parvenir. Ensuite, nous leur avons demandé quelle était la politique mise en place en matière de rémunération variable des managers. Ont-elles mis en place des éléments de rémunération variable qui tiennent compte d’objectifs extra-financiers en lien avec la durabilité et le climat ? Et finalement, nous avons voulu savoir comment les entreprises prévenaient les atteintes au climat et aux droits humains tout au long de leurs activités et dans les relations commerciales qu’elles entretiennent avec leurs fournisseurs. »
De plus en plus d’entreprises sont conscientes qu’un modèle économique outrepassant les limites sociales et planétaires risque bien de ne pas perdurer et de ne plus être rentable.
- Les entreprises étaient-elles réceptives aux revendications ?
« Les personnes avec qui nous avons pu échanger sont bien conscientes des enjeux climatiques et des nécessités de la transition. Elles étaient réceptives aux recommandations et il n’y a pas eu de tabou durant les discussions. Les entreprises sont également conscientes de l’effet de levier climatique qu’elles peuvent engendrer. Dans les discussions, elles ont mentionné à plusieurs reprises leur volonté d’exiger des plans de réduction des émissions de gaz à effets de serre de la part de leurs fournisseurs également. C’est quelque chose que nous avons accueilli très positivement. »
- Quelles sont les conclusions de ces rencontres ?
« Le dérèglement climatique est devenu une certitude. La seule donnée sur laquelle nous pouvons agir maintenant est de savoir dans quelle mesure nous allons être capables d’en limiter ses effets. Je crois que de plus en plus d’entreprises sont conscientes qu’un modèle économique outrepassant les limites sociales et planétaires risque bien de ne pas perdurer et de ne plus être rentable. Les entreprises qui ont déjà pris le train de la transition auront indéniablement un avantage sur les autres car elles sont conscientes des changements nécessaires à opérer ainsi que des facteurs extérieurs qui impacteront fatalement leurs activités si elles n’y sont pas préparées.
Du côté des entreprises que nous avons rencontrées, nous savons qu’elles travaillent sur la question des rémunérations variables mais aussi sur l’évaluation des impacts sur les droits humains dans leur chaîne de valeur. Sur ce dernier point, nous allons continuer le dialogue et poursuivre l’échange des bonnes pratiques, car nous sommes persuadé.e.s qu’une transition juste doit aussi tenir compte des impacts sociaux. »
- Quel aspect t’a le plus marqué lors de ces entretiens ?
« Un élément qui m’a marqué est l’imbrication entre l’action publique et l’action du secteur privé. En discutant avec les entreprises, il apparait comme une évidence que le pouvoir public dispose de puissants outils permettant de piloter la transition. C'est l’Etat qui doit fixer le cap, le cadre et la vitesse de la transition. »
C'est l’Etat qui doit fixer le cap, le cadre et la vitesse de la transition.
- QU'ESt-CE QUE le monde politique pourrait mettre en place ?
« ll y a beaucoup de pistes pour le faire. Par exemple, l’Etat pourrait fixer des objectifs contraignants de réduction des émissions de gaz à effets de serre aux entreprises. L’Etat, comme investisseur public, pourrait également se doter d’une véritable stratégie approfondie et structurée en matière d’investissement durable et inclure le volet climatique comme élément essentiel de cette stratégie, que ce soit en ce qui concerne les secteurs d’activité dans lesquels investir mais également en ce qui concerne le message à porter au sein des entreprises dans lesquelles l’Etat belge est représenté. L’Etat pourrait également mettre en place une fiscalité qui soutient l’action climatique. »
En conclusion : cap sur les élections pour faire pression sur le monde politique
À l’issue de ces rencontres, un élément semble évident : nous avons besoin d’un cadre climatique contraignant provenant de nos dirigeant.es politiques. Or, les élections européennes, fédérales, régionales et communales auront lieu cette année. Profitons de cette occasion pour faire pression sur le monde politique et l’amener à adopter des règlementations ambitieuses à ce sujet. Plus que jamais, nous aurons besoin de nous mobiliser ensemble.