L’empreinte carbone du BEL20 aussi élevée que celle de 34% des Belges
Dans son nouveau rapport, Oxfam dévoile que l’empreinte carbone moyenne des grandes entreprises du BEL20 s’élève à 20,84 millions de tonnes de CO2 par an. Cela équivaut aux émissions annuelles des 34% les plus pauvres en Belgique, soit 3,87 millions de personnes. Quatre entreprises dépassent cette moyenne, il s’agit de KBC, AB INBEV, Umicore et Solvay. Pourtant, des moyens existent pour financer les investissements nécessaires à une réduction ambitieuse des émissions de CO2. Entre 2016 et 2021, les entreprises du BEL20 ont versé plus de 47,5 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, soit 70% de leurs bénéfices. Oxfam appelle à contraindre les entreprises à honorer leurs engagements climatiques, d'autant plus qu'elles polluent bien plus en comparaison avec l'empreinte carobne d'un Belge moyen.
Dans son nouveau rapport Oxfam Belgique évalue l’empreinte carbone et les stratégies climatiques de 14 grandes entreprises du BEL20 (2022) afin de mettre en évidence l’impact climatique de ces entreprises et la nécessité de mettre en place des solutions pour amorcer rapidement une transformation de nos économies. L’analyse repose sur les données fournies par Carbon4 Finance (C4F), société spécialisée dans l’évaluation de la contribution des entreprises aux enjeux environnementaux, et couvre des secteurs variés tels que la finance, l’immobilier, la grande distribution, la chimie, le secteur pharmaceutique, les télécommunications, l’énergie ou encore la sidérurgie.
Seules quatre entreprises étudiées ont réduit de façon significative leur intensité carbone
Pour évaluer l’impact des grandes entreprises du BEL20 sur le climat, Oxfam a également analysé l'empreinte carbone de ces entreprises pour chaque euro de chiffre d’affaires généré. C’est ce qu’on appelle l’intensité carbone d’une entreprise. Cette donnée permet d’évaluer à quel point l’activité d’une entreprise est associée à la génération de Gaz à Effet de Serre (GES, et ce indépendamment de sa taille et de son volume d’activité).
En moyenne, les activités liées aux grandes entreprises du BEL20 (hors banque) sont associées à des émissions de 548 tonnes de CO2 chaque fois qu'elles génèrent 1 million d’euro de chiffre d’affaires. Les entreprises les plus intensives sont actives dans l’industrie, dans les services de biens et de consommation et, plus surprenant, dans les technologies de l’information et de la communication.
Par exemple, cela signifie qu’à chaque fois que Umicore réalise 1.000 euros de chiffre d’affaires grâce à ses ventes, ses activités génèrent en parallèle environ 2,3 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Selon C4F, hors secteur bancaire, seules quatre entreprises étudiées ont réduit de façon
significative leur intensité carbone au cours des cinq dernières années.
Oxfam a aussi analysé de plus près la stratégie climatique déployée au sein des entreprises. “Il s’avère que les engagements en faveur du climat sont erratiques, manquent d’un cadre commun et laissent la porte ouverte à de nombreuses possibilités de greenwashing. Si la plupart des grandes entreprises semblent reconnaître la nécessité d’agir pour le climat, peu d’entre elles adoptent un plan ambitieux pour y parvenir,” selon Julien Desiderio, chargé de plaidoyer chez Oxfam Belgique.
Cela confirme l’analyse du cabinet de conseil Oliver Wyman et Carbon Disclosure Project (CDP), selon laquelle seules 3% des grandes entreprises belges seraient effectivement engagées sur une trajectoire d’émissions compatible avec un réchauffement de 1,5°C tout en se dotant d’un plan de mise en œuvre et d’indicateurs crédibles pour mesurer et atteindre leur objectif.
Les dividendes
En parallèle, la stratégie court-termiste du dividende prévaut sur l’investissement dans le climat. Ainsi, sur la période allant de 2016 à 2021, les entreprises du BEL20 ont versé plus de 47,5 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, soit 70% de leurs bénéfices.
En observant le résultat de la distribution des dividendes années après années entre 2016 et 2021 on constate que, sur la moitié de la période, les entreprises ont versé plus de dividendes qu’elles n’ont réalisé de bénéfices. C’est le cas de 2020 où, même si les entreprises du BEL20 ont effectivement réalisé des bénéfices moindres que les années précédentes en raison de la pandémie de COVID-19, elles ont versé des dividendes équivalents à 170 % des bénéfices annuels. Il arrive ainsi que les grandes entreprises puisent dans leurs réserves ou s'endettent pour payer leurs actionnaires. Ainsi, d’un point de vue global, les entreprises ont versé plus de dividendes qu'elles n'ont fait de profits pendant la pandémie.
Pourtant, selon le GIEC, les besoins annuels moyens d'investissements en matière d'atténuation du changement climatique pour la période 2020-2030 devraient être trois à six fois plus importants que les niveaux actuels, et devraient augmenter dans tous les secteurs. Dans le monde, les objectifs climatiques fixés par les grandes entreprises et les multinationales restent en effet largement insuffisants et les émissions mondiales de ces entreprises nous conduisent vers un réchauffement à 2,7°C. Puisque les pays les moins responsables de la crise climatique sont les plus durement touchés par celle-ci, les pollueurs historiques doivent prendre leurs responsabilités.
Recommandations
Si les grandes entreprises se fixent de plus en plus d'objectifs en matière de climat, des études comme celle d'Oxfam montrent que ceux-ci restent insuffisants et que les émissions mondiales des entreprises nous conduisent vers un monde à 2,7°C . Il est donc urgent de prendre des actions à plusieurs niveaux :
Agir pour un basculement vers une économie décarbonée :
o Les entreprises doivent identifier, prévenir et stopper les dommages climatiques tout au long de leur chaîne de valeur - en tant que partie intégrante de leur devoir de diligence en matière de droits de l'homme et d'environnement. La législation sur le devoir de diligence devrait consacrer cet aspect et prescrire des exigences de qualité claires pour les plans de transition des entreprises.
° La rémunération des cadres supérieurs des grandes entreprises devrait être solidement liée à la réalisation des objectifs et ambitions de l'entreprise en matière de durabilité et de climat.
o Les grandes entreprises devraient rompre avec la priorité donnée à la rémunération à court terme des actionnaires, qui sous-tend l'inaction climatique. Aucun dividende ne devrait pouvoir être versé tant que l'entreprise n'est pas sur une trajectoire d'émissions compatible avec l'objectif de 1,5 °C.
o Les entreprises, le secteur financier et les investisseurs publics devraient investir dans la transition climatique et veiller à l’alignement des activités d'investissement et de prêt (in)directes sur une trajectoire à 1,5 °C et que les coûts de la transition ne soient pas répercutés sur les communautés.
Agir pour doter la Belgique d’un cap climatique national :
o La Belgique devrait se doter d’une loi spéciale climat nationale permettant de définir et d’encadrer clairement ses objectifs climatiques.
o L'engagement de la Belgique dans le financement climatique devrait augmenter jusqu’à un minimum de 500 millions d’euros par an afin que, conformément aux accords internationaux, elle contribue de manière équitable à l'objectif de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Elle doit également reconnaître le besoin urgent de financement des pertes et dommages.
Agir pour un système fiscal plus juste qui soutient l’action climatique :
o Il faudrait instaurer un impôt sur la fortune pour les plus riches afin de réduire leurs émissions et de récolter les milliards d’euros qui pourront être utilisés pour lutter contre les inégalités, pour la coopération au développement afin d’aider les pays les plus vulnérables à faire face aux impacts brutaux du dérèglement climatique.
o Il faut que les multinationales paient leur juste part d’impôt. Pour cela, il faut introduire un impôt minimum européen ambitieux sur les bénéfices réels des sociétés multinationales plus élevé que les 15 % convenus, tels que les 25 % préconisés par la Independent Commission for the Reform of International Corporate Taxation (ICRICT);
o Les surprofits des entreprises devraient être taxés, tous secteurs confondus, et servir à financer des politiques publiques de lutte contre le dérèglement climatique au niveau national et international et de soutien aux personnes et PME touchées par les crises.
Note aux rédacteurs
Le rapport est disponible ici, ainsi que les commentaires des entreprises.
Julien Desiderio, chargé de plaidoyer est disponible pour plus d’info.
Le lien vers la méthodologie utilisée pour évaluer l’empreinte carbone des entreprises est disponible sur le site web de Carbon4 Finance.
Oxfam Belgique a lancé une pétition pour faire pression sur les entreprises afin qu'elles adoptent des solutions en faveur de la justice climatique :