Actualité17 février 2025

L’impact politique d’Oxfam en 2024 (2/4) : Plus de justice pour les agriculteur.rice.s belges

En 2024, la Belgique a fait un pas en avant dans la protection des agriculteurs et agricultrices. Désormais, une plus grande liste de pratiques commerciales déloyales sont définies par la loi belge, limitant les abus dans la chaine agroalimentaire. Une victoire que l’on doit notamment aux protestations agricoles de 2024 mais aussi au travail acharné de la coalition belge contre les pratiques commerciales déloyales, chapeautée par Oxfam. Tour d’horizon de la question avec Francesca Monteverdi, chargée de plaidoyer en justice commerciale chez Oxfam Belgique.

 Peux-tu nous résumer ce que signifie les « pratiques commerciales déloyales » ?  

Francesca Montverdi : « Notre système alimentaire met en relation des acteurs qui n’ont pas du tout la même taille et le même pouvoir. D'un côté, quelques multinationales qui contrôlent le marché agroalimentaire ont le pouvoir de fixer les prix et maximisent donc leurs profits. De l’autre, les agriculteurs et agricultrices n’arrivent pas à couvrir les frais de leur production à cause des prix imposés par les acheteurs. Cela crée des énormes déséquilibres de pouvoir où les petits fournisseurs sont très susceptibles d’être abusés.

Les pratiques commerciales déloyales c’est donc toute pratique qui s’écarte de ce qui serait considéré comme un comportement « normal » de la part des acteurs du marché, par exemple l'annulation de commandes à la dernière minute ou le non-paiement de factures dans les délais impartis. En raison de l'ancrage de nos marchés mondiaux dans une logique néolibérale, ce qui est communément perçu comme un comportement normal est étroitement lié aux valeurs de la concurrence, de la maximisation des profits et d'un mécanisme de prix sans contrainte au sein d'un marché libre. » 

L’Europe puis la Belgique ont décidé de mettre en place des mécanismes pour éviter ces abus, quels sont-ils et comment Oxfam et d’autres acteurs et actrices de la société civile ont contribué à cette victoire pour les agriculteur.trice.s 

Francesca Montverdi : « En 2019, l’Europe a adopté une directive qui établit une liste d’un ensemble de pratiques commerciales déloyales.  Pour la première fois, nous avons un ensemble d'obligations négatives bien définies qui interdisent aux grands acteurs d'abuser de leur pouvoir de marché au détriment des plus petits fournisseurs de la chaîne d'approvisionnement agricole. Oxfam a contribué à l’élaboration de cette directive européenne via son travail de plaidoyer commencé en 2017, aux côtés du Fair Trade Advocacy office et d’autres acteurs. C’est un premier pas certes mais nous plaidons en faveur d'une amélioration de cette directive qui demeure incomplète et insuffisamment appliquée.

Dès 2019, nous avons démarré notre travail au niveau belge. En effet, la directive européenne doit ensuite être transposée en loi nationale dans chaque pays de l’Union Européenne. Une coalition belge contre les pratiques commerciales déloyales s’est formée, coordonnée par Oxfam. Les principaux acteurs de ce groupe sont FairTrade Belgium, le CNCD et 11.11.11, ainsi qu’Oxfam mais nous sommes composés d’une vingtaine d’autres organisations engagées pour un système alimentaire plus juste. Le travail réalisé a été énorme ! Ensemble, nous avons publié un position paper, rassemblant l’ensemble de nos recommandations pour protéger les agriculteurs et agricultrices dans la chaîne alimentaire. La transposition de la directive européenne a abouti en une loi belge en novembre 2021.  

Rester dans une logique néolibérale de négociation libre des prix, c’est condamner les petits exploitants à se faire abuser par les grands acteurs.

Francesca Monteverdi, chargée de plaidoyer en justice commerciale chez Oxfam Belgique. 

Que ce soit au niveau européen ou belge, ces textes n’interdisaient toujours pas l’achat de produits agricoles en dessous des coûts de production durable ?  

Francesca Monteverdi : « Oui or, c’est tout le nœud du problème ! Rester dans une logique néolibérale de négociation libre des prix, c’est condamner les petits exploitants à se faire abuser par les grands acteurs.  En Belgique, nous avons donc continué notre travail pour réviser cette directive européenne et ce fut chose faite ! Le 1er juillet 2024, le conseil des ministres a approuvé un projet d’arrêté royal complétant la liste des pratiques commerciales déloyales. Le fait d’acheter des produits en dessous du prix de production a été rajouté à la liste des pratiques bannies (inséré dans la liste grise, c’est-à-dire des pratiques interdites sauf accord des parties), une immense victoire notamment dû au travail sans relâche de notre coalition. »

Notons par ailleurs que chez Oxfam Fair Trade, nous garantissons toujours aux producteurs et productrices avec qui nous travaillons un prix qui couvre durablement les coûts de production. Cet engagement pour un revenu vital est au coeur de notre mission.  

Qu’est-ce que les protestations agricoles de 2024 ont changé selon toi  ?

Francesca Monteverdi : « Clairement, les protestations agricoles ont énormément aidé en donnant de la visibilité à ces revendications. Ce que les agriculteur.rice.s demandent, c’est la base : être rémunéré.e.s pour leur travail à travers des prix justes.

Le plaidoyer politique et les mobilisations agricoles sont imbriqués et complémentaires, c’est ça notre force. C’est très rassurant de voir que nous travaillons dans la même direction, que nous sommes alliés.  Nous voulons tous et toutes un changement de système et notre travail c’est de veiller à ce que ça soit transposé dans des lois. »   

Nous voulons tous et toutes un changement de système et notre travail c’est de veiller à ce que ça soit transposé dans des lois.

Francesca Monteverdi, chargée de plaidoyer en justice commerciale chez Oxfam Belgique. 

 La prochaine grande étape, c’est la révision de la directive européenne en 2025, la Belgique va-t-elle servir d’exemple pour cette révision ?  

Francesca Monteverdi : « Oui. La Belgique a à présent adopté un arrêté royal plus ambitieux que la directive européenne. Nous sommes un exemple de bonne pratique à suivre. Mais il y a également d’autres pays comme l’Espagne et la France qui sont encore plus avancés.

Oxfam Belgique coordonne la coalition européenne contre les pratiques commerciales déloyales. Nous venons de publier un position paper détaillant toutes nos recommandations. Ce que nous voulons ? Une révision ambitieuse de la directive. Notre cheval de bataille, c’est l’interdiction de l'achat de produits agricoles en dessous des coûts de production durable et la vente à perte dans toute la chaîne d'approvisionnement. On ne va pas lâcher le morceau !

Nous avons aussi publié 3 cas d’études avec FTAO pour montrer les impacts de cette directive sur les fournisseurs en Equateur, au Kenya et au Rwanda. Ce que nous voulons démontrer, c’est que le marché européen n’est pas une île : il faut également prendre en compte les marchés indirects avec l’Europe. Ça n’a pas de sens de protéger les agriculteur.trice.s européen.ne.s si c’est pour affaiblir ceux hors d’Europe. »

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