Robin des Bois en 2023 : (re)prendre aux riches ce qu’ils ont “oublié” de payer
Selon la Banque mondiale, le nombre de personnes vivant dans des conditions de pauvreté extrême augmente pour la première fois en 25 ans. C’est-à-dire des personnes vivant avec maximum 2,15 dollars par jour. (1) Que peut-on encore acheter avec ce montant ? Certainement pas trois repas par jour. Le rapport d’Oxfam « La loi du plus riche » a révélé que depuis 2020, les 1 % des personnes les plus riches du monde ont accaparé près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses. Des richesses d'une valeur de 42.000 milliards de dollars, soit près de deux fois plus que celles détenues par les 99 % les plus pauvres de la population mondiale. Parallèlement à cela, les gouvernements prévoient d'importantes coupes budgétaires qui impacteront encore plus durement les personnes les plus touchées par ces inégalités.
Quand on évoque les grosses fortunes, on pense directement aux hommes du Rocket Club : Bezos, Buffet, Branson, Musk. Leurs déboires expansionnistes déclenchent souvent des tempêtes médiatiques aussi scandaleuses qu’éphémères. Toute cette opulence nous donnerait presque l’impression qu’ils sont une exception, éloignée de notre quotidien. Or, en Belgique nous avons aussi « notre » Rocket Club : les 1% les plus riches contrôlent près d’un quart des richesses nationales. Ces personnes (presque sans exceptions des hommes) possèdent plus que la richesse combinée des 70% les plus pauvres de la population. Ce fossé extrême entre les richesses existe donc bel et bien dans notre pays, situation aggravée par la crise sanitaire et la baisse du pouvoir d’achat de ces dernières années.
Cessons de laisser les riches s’en tirer à bon compte
Taxer les personnes les plus riches constitue une nécessité, un rééquilibrage équitable du poids de la taxation. « Alors que la majorité de la population est durement touchée par la crise du pouvoir d'achat, la fortune des très riches dépasse même leurs rêves les plus fous. Au bout de deux ans à peine, on peut déjà affirmer que cette décennie sera celle des milliardaires », avance Eva Smets, directrice d’Oxfam Belgique. « Taxer les grosses fortunes et les grandes entreprises est le seul moyen de sortir des crises qui se succèdent actuellement. Il faut mettre un terme au mythe selon lequel réduire les impôts sur les grosses fortunes permettrait, d'une manière ou d'une autre, de "faire ruisseler" leurs richesses sur l'ensemble de la population. Cela fait 40 ans que les très riches bénéficient de réductions d’impôts et les inégalités et la pauvreté ne font qu’augmenter », conclut-elle.
Qu’est-ce qui a permis aux milliardaires de s’enrichir si outrageusement en 2022 ? Les bénéfices engrangés grâce à la flambée des prix de l’alimentation et de l’énergie. Le rapport d'Oxfam révèle que 95 entreprises du secteur de l'alimentation et de l'énergie ont plus que doublé leurs bénéfices en 2022. Elles ont réalisé 306 milliards de dollars de bénéfices excédentaires et ont redistribué 257 milliards de dollars à leurs actionnaires. À titre d’exemple, Eric Wittouck, le citoyen belge le plus riche – qui réside soi-disant passant à Monaco – a perçu un dividende record de plus de 2 milliards d'euros de l'une de ses sociétés basées au Luxembourg.
Au cœur des enjeux : l'alimentation, les soins de santé et l'enseignement
Même dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, gagner 2,15 dollars par jour est synonyme d’extrême pauvreté. Et cela a des conséquences désastreuses. Au moins 1,7 milliard de travailleur.euse.s vivent dans des pays où l'inflation augmente plus vite que les salaires. 820 millions de personnes, soit environ une personne sur dix dans le monde, souffrent de la faim chaque jour. Les inégalités structurelles entre les genres à l’échelle mondiale font que les femmes et les filles sont les plus touchées par le manque de nourriture. Elles constituent 60 % de la population mondiale souffrant de la faim. En Belgique, 19 % de la population, soit plus de 2 millions de personnes, sont menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale. Un chiffre qui devrait encore grimper au vu de la crise du pouvoir d’achat. Parallèlement, trois quarts des gouvernements mondiaux prévoient des coupes dans les budgets du secteur public – y compris dans les soins de santé et l’enseignement – à hauteur de 7.800 milliards de dollars sur les cinq prochaines années. Or, ces trois dernières années nous ont démontré que nos infrastructures d’accueil à la petite enfance et de soins aux personnes âgées, les institutions de santé et l’enseignement sont déjà bien malmenés par de précédentes coupes budgétaires.
La loi du plus riche
Le titre du dernier rapport d’Oxfam fait allusion au célèbre précepte de Darwin « la survie du plus apte ». Cette expression se réfère à la capacité d'adaptation de la faune et de la flore et, par conséquent, à leurs chances de survie dans un environnement changeant. En effet, les personnes les plus riches se sont merveilleusement adaptées aux deux crises mondiales qui viennent de nous frapper successivement. Mais comment les 99 % restants de la population mondiale peuvent-iels s'adapter à ces crises successives et ses retombées qui creusent de façon alarmante les inégalités ?
Le rapport d'Oxfam met en avant la nécessité vitale de taxer les grosses fortunes de manière adéquate. Il n'y a pas si longtemps, les impôts sur la fortune étaient beaucoup plus élevés. Mais au cours des quarante dernières années, les gouvernements d'Afrique, d'Asie, d'Europe et d’Amérique ont progressivement raboté les taux d'imposition des plus riches. En parallèle, ils ont augmenté les taxes sur les biens et les services, faisant peser un fardeau disproportionné sur les personnes plus pauvres et exacerbant les inégalités entre les hommes et les femmes. En outre, le rapport d'Oxfam vient confirmer la popularité croissante de la taxation des grosses fortunes. Par exemple, le président des Etats-Unis Joe Biden vient de présenter son plan budgétaire pour 2024 qui met à contribution les grandes entreprises, les multimillionnaires et les milliardaires. Ainsi, le plan prévoit un impôt minimum de 25 % pour les milliardaires et de 28 % pour les grandes entreprises.
L'imposition des plus riches réduirait le pouvoir de l'élite fortunée tout en freinant les inégalités économiques, culturelles, entre les genres et celles découlant du passé colonial. Taxer les riches pourrait constituer le tremplin vers un monde plus égalitaire et respectueux de la planète, où la pauvreté n'aurait plus sa place. Julien Desiderio, chargé de plaidoyer en justice fiscale pour Oxfam Belgique, explique : « Cet "impôt sur la fortune" devrait alors servir à faire face aux crises et à améliorer la vie des citoyen.ne.s ordinaires. Nous pouvons y arriver si nous (re)distribuons mieux les richesses. Comment ? En investissant dans la transition climatique et en finançant les services de protection sociale ». Des soins de santé de qualité, l'éducation, les transports publics... constituent en effet les éléments clés d'une société saine et tournée vers l'avenir.
Taxer les riches pourrait constituer le tremplin vers un monde plus égalitaire et respectueux de la planète
Une taxe de 1 à 4 % imposée aux Belges les plus riches générerait 20 milliards d'euros de recettes fiscales. C'est deux fois le montant du déficit attendu de la sécurité sociale en 2024.
Julien Desiderio, Chargé de plaidoyer en justice fiscale chez Oxfam Belgique
Un impôt de seulement 5 % sur les multimillionnaires et les milliardaires du monde entier pourrait générer 1.700 milliards de dollars par an, ce qui suffirait à sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté. Et en Belgique ? « Une taxe de 1 à 4 % imposée aux Belges les plus riches générerait 20 milliards d'euros de recettes fiscales. C'est trois fois le budget nécessaire au plan de relance, 6 fois le montant nécessaire à la SNCB et Infrabel pour leur nouveau plan d'investissement, et 2 fois le montant du déficit attendu de la sécurité sociale en 2024 », conclut Julien.
Lisez le rapport publié par Oxfam à l'occasion du Forum de Davos
Le rapport d’Oxfam ‘La loi du plus riche’ est disponible dans son intégralité ici